Pourtant je ne suis pas au service cartes grises de la préfecture, ni
à la CAF pour y déposer un dossier, ni même au centre des impôts pour porter
réclamation…
Je suis dans le hall d’un hôpital tourangeau, au service
« Admissions » !
J’y viens pour une simple consultation, mais la règle est la même pour
toute personne ayant rendez-vous à l’hôpital, il faut préalablement se présenter
au service des admissions.
Dans ce grand bâtiment moderne, refait il y a peu de temps, un espace
a été spécialement aménagé dans le hall-même… Au milieu du passage des visiteurs
et personnels, plusieurs rangées de « fauteuils » métalliques rouges
ont été disposées et font face à quelques box blancs – étroits - dans lesquels
s’entassent des employés administratifs.
L’endroit est neuf certes, mais froid – d’une impressionnante froideur
– cerné par quelques poteaux, carrelages sombre au sol, les mûrs sont de même
facture, et la hauteur inhabituelle du plafond rajoute un peu plus de glace à
l’atmosphère.
Lorsqu’un patient arrive, il se présente comme moi, devant une petite
machine où il est inscrit « Appuyez sur l’écran »… après trois
essais, un ticket sort par l’orifice prévu à cet effet.
Mon ticket indique le numéro 146… onze patients me précèdent !
Je cherche des yeux un siège pour m’asseoir et comme les patients
viennent rarement seuls à l’hôpital, ce que les architectes n’avaient pas dû
prendre en compte, il ne reste que peu de place…
Je m’installe.
En face de moi une mère de famille avec ses deux enfants semble avoir
le numéro 137, et à ma droite cet homme cheveux grisonnants dans un fauteuil
roulant a – lui – obtenu le numéro 143.
Un couple de personnes âgées s’installe à ma gauche avec le 150, le
141 venant d’être appelé au box E par une voix électronique qui résonne à
travers le hall.
A intervalles irréguliers, au milieu du brouhaha ambiant et des allers
et venues incessant, les numéros sont énoncés un à un dans les hauts parleurs,
par une voix électronique – précédant de peu l’affichage au dessus du box
concerné.
Sur les fauteuils, les patients se scrutent anxieux, puis par une
gymnastique qu’ils répètent sans cesse – selon leur place – lèvent les yeux ou
se retournent pour regarder l’écran qui indique le prochain numéro.
La gêne est palpable, l’inquiétude également et chacun se prépare à
entrer dans son box pour enregistrer son arrivée.
Nous ne nous connaissons pas, chacun vient pour une raison différente
– plus ou moins grave – certains attendent un diagnostic qu’ils redoutent,
d’autres espèrent que l’intervention qu’ils vont subir se déroulera bien ou encore
que les résultats de celle qu’ils ont subis voilà peu sont à la hauteur des
espérances.
Et pourtant, à l’angoisse de ce rendez-vous vient s’ajouter la
lourdeur administrative, distante – impersonnelle – froide – presque austère –
à la vue et au su de tout le monde, alors qu’ils sont venus chercher avant tout
de la réassurance et du réconfort face à la maladie.
Bien sûr, on viendra m’expliquer qu’il s’agit de faciliter le
traitement administratif des dossiers des patients, ou encore de soulager les
services de soins ou les consultations.
L’excuse imparable consistera à me soutenir que cette attente
organisée et au combien bureaucratique,
respecte un principe fondamental en droit de la santé et notamment en
matière de droit des patients, celui de la confidentialité des données
médicales de l’usager…
Mais au fond s’est-on une seule fois demandé à quoi pouvait bien
penser un patient, au milieu de tant d’autres, dans ce hall qui n’a finalement
rien à envier à celui d’une gare ?
L’impérieuse nécessité de respecter la confidentialité de ces
informations n’est-elle en rien compatible avec un soupçon d’humanité dont l’hôpital
doit pourtant être paré ?
Il faut en effet se rendre compte que la première chose que l’on
demande à un patient, lorsqu’il entre ainsi dans cet antre qu’est cet immense
hall d’accueil, est de se déposséder de son identité le temps de quelques
dizaines de minutes.
C’est pourtant l’attribut auquel il tient le plus, celui qui le
rassure et après lequel il s’accroche lorsqu’il est diminué par la maladie,
quel qu’elle soit.
Le patient devient alors un numéro au milieu d’autres numéros…
attendant que l’automate l’appelle au haut parleur, patientant dans une
atmosphère peu propice à sa sérénité.
Une fois dans le box, il n’aura pas plus de considération, non pas que
les employés administratifs soient peu agréables, mais les nombreux numéros qui
attendent derrière imposent que ces agents soient rapides, y compris dans leurs
explications pour rallier le service adéquat.
Finalement, ce n’est qu’une fois dans le service de soins ou de
consultation que le patient transformé en numéro se muera de nouveau en patient…
Mais durant ce laps de temps pouvant durer plusieurs dizaines de
minutes, l’hôpital se transformant en machine bureaucratique austère, aura
complètement déshumanisé sa prise en charge au profit d’un traitement
administratif optimal…
Et c’est à ce moment que l’on pourra constater avec effroi que les
priorités de l’hôpital ne sont plus
toujours en adéquation avec celles des patients et de la prise en soins dans
toutes ses composantes.
Près de 25 minutes plus tard, la petite voix annonce « Le numéro
146 es appelé au box C »…
J’en ressors quelques dizaines de secondes plus tard après quelques
formalités d’usages, vite expédiées par la nécessité pour l’agent de ne pas se
laisser déborder par la file de patients qui s’allonge. Je m’engouffre alors
dans les dédales de couloirs de l’hôpital et après la traversée de plusieurs
salles d’attente, je rejoins enfin la mienne où je m’installe tranquillement.
Finalement, 40 minutes après mon arrivée à l’hôpital, une infirmière
se présente dans la salle d’attente et – m’appelant par mon nom, un sourire aux
lèvres – m’invite à entrer dans la salle d’examen.
Ouf ! Je viens de retrouver mon identité, et avec elle ma dignité…