J’étais comme beaucoup, choqué au plus haut point des propos tenus par
Claude Guéant lors du congrès du Syndicat UNI.
Oh bien sûr, je connaissais le personnage, ses nombreuses sorties
médiatiques précédentes, toutes aussi houleuses avaient taillé une réputation
« taille patron » au successeur du non moins sulfureux Brice
Hortefeux, notre blagueur auvergnat préféré…
Je n’étais pas plus surpris que ces propos soient proférés devant un
collège de la qualité des membres de l’UNI que je cotoie (combat) depuis
plusieurs années maintenant et dont le plus grand hobby est d’hurler :
« la France aux français ».
Ces mêmes jeunes gens qui, voilà quelques années avaient cru bon, par
une nuit d’hiver, de venir déloger des syndicalistes (de gauche faut-il
préciser) bloquant une faculté pour manifester contre la loi LRU à coup de
couteau et de matraques.
Et le fait du jour n’est que
logique puisque « qui sème le vent récolte la tempête », le
paroxysme de cette polémique a été atteint là où finalement les propos du
ministre de l’intérieur avaient fait le plus mal, au cœur de la République
française.
Sur les bancs de l’Assemblée Nationale, un représentant de la nation a
osé se lever et dénoncer des propos scandaleux ; Serge Letchimy, député
apparenté socialiste de Martinique a fustigé les paroles de Mr Guéant faisant
le parallèle avec le nazisme et les camps de concentration.
J’aurais pu m’abstenir des lignes qui vont suivre, être réservé sur la
qualification de ceux de Guéant ou encore me contenter de trouver que ses
paroles n’étaient que la preuve d’une ignorance telle que ce dernier avait
confondu à la fois la culture au sens identité du terme, la religion et la civilisation.
Mais une anecdote du quotidien m’a finalement amené à revoir
totalement mon interprétation…
En effet, régulièrement un ami avec qui je partage autre chose que les
convictions politiques (apparenté UMP), m’a interpellé comme souvent, sur la
polémique du jour via SMS.
Défendant d’abord mollement la position du député Letchimy, je me suis
vite ravisé pour en venir rapidement à la véhémence face aux propos qui
m’étaient tenus.
En l’espace d’un quart d’heure, j’ai pu contempler avec effarement ce
que le quinquennat, son lot d’immondes polémiques, ses rumeurs nauséabondes,
ses stigmatisations régulières et les interventions haineuses de nos gouvernants
avaient pu engendrer dans l’imaginaire collectif, à commencer par les partisans
de l’UMP.
Commençant par me dire que « l’uniformisation (sous entendu des
civilisations) nivelle par le bas… » il en vint alors à noter ceci :
« Maintenant quand un député martiniquais conteste ces propos il oublie de
dire que sans l’apport des occidentaux il ne serait certainement pas dans
l’hémicycle »
Face à la manifestation de mon écoeurement devant ces propos et après
m’avoir signifié que « mon relativisme d’uniformisation de gauche me
passerait… », il précisa : « depuis qu’on est parti (nous les
occidentaux des colonies) la situation s’est aggravée » ce à quoi il finit
entre quelques SMS de politesse par m’expliquer qu’il fallait défendre
« nos valeurs judéo chrétiennes… »
C’est à ce moment précis que j’ai compris, au détour, comble de
l’ironie, d’un cours de communication politique ce qu’avait pu ressentir ce
député martiniquais à l’écoute des propos de Claude Guéant.
C’est au même instant que je me suis également rendu compte que le
travail de « sape » réalisé par l’UMP sous la Sarkozie, avec les
lieutenants Copé-Hortefeux-Guéant, s’aidant de transfuges comme Peltier et tant
d’autres, pour cyphonner les voix du FN, avaient fait « mieux ».
Le parti de la majorité présidentielle a réussi à faire beaucoup mieux
même, il a réussi à instaurer la peur de l’autre, de l’étranger faisant fi de
ce qui a fait la grandeur de la France, pays de la Déclaration des droits de l’Homme
et du Citoyen, celui des libertés et de l’égalité pour tous.
D'Argenteuil à Dakar et de Grenoble au Congrès de l'UNI, les élus UMP n'ont cessé de bafouer les principes fondamentaux dont la République avait mis tant de temps à se doter.
Cette théorie de Claude Guéant est très grave, beaucoup plus que
certains veulent bien le faire croire, car comme le disait Christiane Taubira à
la sortie de cette houleuse séance, l’idée qu’il y aurait des civilisations
supérieures aux autres, induirait à considérer qu’il existe de ce fait des
races supérieures à d’autres races…
Après tout il n’est pas si loin le temps où Roger Bastide nous parlait
de la « superstition du primitif », où Herskovitz tentait de démontrer
que le noir américain n’était qu’héritage, excluant tout possibilité d’évolution ;
tout comme nous pourrions également évoquer avec Mr Guéant le point de vue de
Levy Bruhl ou les théorie de Gobineau traitant de l’inégalité des races humaines.
Il a pourtant fallu du temps pour que la France s’affranchisse de ses
vieux démons et permette à chacun de panser ses blessures. N’oublions pas que
nous avons longtemps retardé l’abolition de l’esclavage, que nous avons
participé activement à la colonisation avant de la quitter dans un bain de sang
de Paris à Alger et qu’il y a encore si peu de temps, nous écrivions les
dernières lignes judiciaires françaises des atrocités de la seconde guerre
mondiale (procès Papon) durant laquelle nos grands parents et arrière-grands-parents
ont tant souffert.
Paradoxale situation que celle-ci alors qu’en 2008, Nicolas Sarkozy
rendait hommage à un homme qui s’est battu toute sa vie contre la colonisation,
les inégalités et les injustices.
Cet homme, c’était Aimé CESAIRE, il a été avec d’autres comme Léopold
Sedar-Senghor ou Leon Gontran Damas, l’homme qui a rendu les noirs de France dans
son ensemble, fiers d’être noirs bien sûr mais aussi d’être français.
Et la France doit autant à ces hommes qui furent membres de l’Académie
française, ministres, ou encore députés et qui ont largement contribué à faire
la grandeur de la France.
Et cet homme qui leur succède aujourd’hui et qui était encore hier
inconnu du grand public n’a fait que répondre avec son cœur meurtri, si fier
pourtant d’être un français de Martinique.
Fier comme nous le sommes, avec beaucoup d’autres, de cette France multiculturelle,
métissée et tournée vers un avenir où les principes de liberté, d’égalité et de
fraternité ont encore toute leur place.
A ce titre si je suis perplexe quant à la hiérarchie des civilisations,
je pense toutefois qu’il serait bon de rappeler à Monsieur Guéant et à l’UMP « qu’une
civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
(Aimé CESAIRE, Discours sur le Colonialisme 1950)